Petit lézard sur le sable

[ R E N C O N T R E . I N S O L I T E . ]

L'animal fit quelque pas en s'éloignant, ses pattes s'enfouissant dans le sable chaud, sous l'oeil attentif de l'être près de lui. Il s'arrêta une dizaine de centimètres plus loin, se coucha sur une roche plus grosse parmis ses billiards de semblables pour ensuite rouler paresseusement sur le dos afin d'exposer son ventre dépourvu d'écailles à la chaleur bienfaisante du soleil. Sa maitresse, installée sur le ventre à même le sol, profitait également des rayons qui ne se voulaient brûlants. Son menton posé sur le dos de ses mains, l'une par dessus l'autre, le visage de la fillette se trouvait à moins de vingt centimètres du reptile, malgré le fait qu'il venait de mettre une certaine distance entre eux car elle lui donnait de l'ombre. Risquant un regard vers le ciel, Rhémeïa put constater que l'astre solaire n'était pas encore à son zénith, ce dernier arriverait probablement dans moins d'une heure, mais personne ne l'attendait à ce moment de la journée où le soleil était à son plus haut point et même si cela aurait été le cas, elle ne se serait pas plus pressée que cela. Ses yeux revinrent alors se poser sur l'étendue d'eau qui commençait à peine à une dizaine de mètres d'elle et Aja, lequel elle surveillait du coin de l'oeil. Les vagues dessinaient un aller-retour sur le sable restant humide par l'incessant voyage de l'eau. Parfois, elle avait tendance à se demander ce qui pouvait bien se trouver de l'autre côté, même si qui que ce soit n'ait jamais évoqué cette possibilité devant elle. Quittant cette vue, l'hybride se redressa et alla cueillir dans le creux de sa paume l'animal, faisant une vingtaine de centimètres de la tête jusqu'au bout de la queue, si bien installé. Elle se coucha alors sur le dos, la main gauche en dessous de sa tête, puis nicha le lézard dans son cou, gardant alors son autre main posée sur son ventre. Sa vie avant que l'autre intervienne était bien suffisante. Elle n'avait plus rien à faire désormais. Avant, lorsqu'elle vivait avec sa mère, elle pouvait s'occuper en accomplissant certaines tâches.. Faire passer le temps.. Cependant, celui-ci semblait obstiné à ralentir volontairement pour elle depuis qu'elle vivait avec l'homme. Rhémeïa ne savait plus comment se divertir, en dehors d'Aja, donc elle venait de plus en plus souvent ici, sur la plage, lorsqu'elle ne trouvait nul part ailleurs où trainer.

Le temps passa, jusqu'au moment fatidique où le soleil atteint son zénith, sans qu'elle ne bougea, de même que pour son compagnon. Sa poitrine s'élevait et s'abaissait faiblement, sa respiration étant presque imperspectible, comme si elle dormait, mais ses yeux grands ouverts à contempler le ciel trahissaient le fait que la jeune fille était parfaitement éveillée.

[ p r i v é . m a n y e n . ]

C'était une de ces heures où sa présence d'était pas requise chez l'Empereur. C'était à des moments pareils que Manyen ― ou plutôt Ellan comme il se faisait appelé pour cacher son identité ― se promenait sur la plage, admirant la mer et les montagnes. Irianeth le fascinait tellement ... et la mer aussi. Il n'y avait pas de mer dans le royaume des Dieux ― un royaume maintenant inaccessible pour l'Immortel. C'était peut-être pour ça qu'elle le fascinait autant. La mer était un mystère. Pour quelqu'un qui vivait à ses côtés et qui la voyait chaque jour, il ne devait y avoir rien de spécial. Mais pour ceux qui ne la voyait que rarement, ou ne l'avait aperçu que plus tard dans leur vie, elle était fascinante. Il était vrai que lorsque Manyen l'avait aperçue pour la première fois, il était encore jeune. Il venait de découvrir l'identité de son père. Il se souvenait avoir passé des heures à la contempler, sur la plage à galets de Zénor. Mais sur Irianeth, c'était différent. Non seulement c'était la mer, mais il y avait cet atmosphère qui y régnait ... une atmosphère qui rendait la paix dans l'âme (s'ils en ont une) de l'Immortel, une atmosphère si noire, si lugubre, si macabre... La mer avait cette apparence de plaine bleue qui bougeait, dont le soleil ― peu après son point de zénith ― l'effleurait sans y enlever cette noirceur qui y régnait.

Manyen n'était pas inconscient du fait qu'il n'était pas seul sur la plage, mais il s'en moquait un peu. Il ne prêta pas attention à la fillette et son lézard ― il ne prêtait jamais attention aux habitants d'Irianeth qui n'avaient pas d'importance. Il était comme ça, bien solitaire. Et insensible. Qu'elle se serait fait tué sur place, il ne l'aurait pas accordé un deuxième regard.

Sa queue longeait le cou de la jeune fille, dont il épousait la forme, pour aller toucher sa nuque. Ses écailles reluisaient au soleil et personne ayant eu un faible pour les mignonnes petites choses aurait voulu le déloger, Aja s'était recrovillé sur lui-même et semblait faire une sieste.. Cette dernière supposition fut vite démentie lorsque le reptile releva d'un mouvement rapide sa tête uniquement , ayant entendu le crissement du sable sous les pas du nouveau venu. Rhémeïa remarqua le changement d'attitude soudain de son compagnon et tourna légèrement la tête afin de savoir ce qui avait attiré l'attention du petit animal. Celui-ci descendit rapidement sur le ventre de sa maitresse alors que celle-ci se redressait dans une position assise afin d'observer son nouvel objet de divertissement. Sa tête se penchant légèrement sur le côté droit, l'hybride remarqua que l'homme était plus ou moins grand, plus petit que celui avec qui elle vivait en tout cas. Il paraissait également plus jeune, mais pas tant que ça. Le lézard était à présent au sol, cherchant sûrement de quoi faire son repas, mais elle ne s'en occupa pas, sachant qu'il n'irait bien loin. La jeune fille ne se rappelait de l'avoir déjà vu, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de la forteresse, mais il n'avait certainement pas pu apparaitre comme ça! Elle se leva en époussetant quelque peu sa robe désormais recouverte de grains de sable, récupéra au passage le reptile aux écailles noires en le fourrant dans sa poche puis s'avança vers l'homme, s'arrêtant à trois mètres de lui. Elle continua de se le détailler, ne manquant de remarquer sa chevelure et son regard semblable aux siens, puis prit la parole au bout d'une minute passée à le dévisager.

- T'es qui?

Aussi simple que cela. C'était l'une des raisons pour lesquelles sa mère avait à tout prix évité que la petite entre en contact avec les gens plus haut placés, c'est-à-dire: tout le monde qui n'était esclave. Rhémeïa avait toujours fait fit des politesses, puisqu'elle n'en voyait pas l'utilité, et cela aurait pu lui coûter la vie si un être à l'orgueil mal placé l'aurait eue comme interlocutrice. C'était d'ailleurs un petit problème que l'homme lui avait dit qu'il allait règler, quoi qu'elle ne voyait pas de quoi il parlait, pas plus de comment il allait s'y prendre. La main droite toujours dans sa poche, elle caressait Aja du bout de son pouce, partant du bout du "museau" pour aller jusqu'au milieu du dos de l'animal, recommençant ensuite le manège, Rhémeïa avait toujours les yeux fixés sur la silhouette de l'homme se trouvant en face d'elle. Depuis combien de jours.. Depuis combien de jours encore? Elle ne savait plus, elle avait oublié. Pourtant, ça ne faisait pas longtemps que Rhémeïa vivait avec l'autre. Si seulement elle avait compté, juste à cause de cela, elle ne saura pas quand ajouter une année à l'âge de son compagnon.

Le regard de Manyen — pourtant si loin vers la mer, vers l'horizon, si loin dans ses pensés — se retourna. Oh, il savait qu'il n'était pas seul ― il avait vu la fillette et son lézard bien avant, mais ne lui avait pas prêté attention. Elle était un enfant ― peut-être un de ces jeunes qui allaient servir dans l'armée de l'Empereur. S'il y avait une chose que l'Immortel ne comprenait pas était cette décision que l'Empereur avait prise. Certes, Enkidiev disposerait de sa propre petite armée, les "Chevaliers d'Émeraude"... Il y en avait une autre sur Irianeth ... et elle allait s'appeler comment ? Les Chevaliers d'Irianeth ? Pas très original... Mais bon, Manyen ne s'était pas opposé à cette décision de l'Empereur. Il n'était pas là pour décider pour lui, non, seulement pour le guider. C'était ses choix ... à ses risques et périls. Bien sur, il y avait aussi l'histoire du "Porteur des Ténèbres" ― bien importante aux yeux de l'Immortel, bien sur ― mais bon... Bref, Manyen avait vu la fillette, sans lui accordé un deuxième regard. Mais là, elle lui accordait la parole.

"T'es qui ?"

Manyen arquât ses sourcils, légèrement surpris. On ne lui avait pas souvent adressé la parole. Manyen ne s'intéressait pas au peuple d'Irianeth.... il aimait l'île, tout simplement. C'était rare qu'on lui adressait la parole ― omis l'Empereur et l'Impératrice, et tout leur entourage. La, soi-disant, impolitesse de la fillette ne le dérangeait pas. De toute façon, Manyen préférait qu'on soit franc en lui parlant ― pas de trucs cachés. Il est vrai qu'il n'était pas le meilleur pour parler, mais il préférait tout de même qu'on lui dise franchement ce qu'on pensait.

"Je suis l'Immortel Ellan. Et toi ?"

Pas besoin d'être poli ― c'était quoi le but ? Elle n'était surement pas grand-chose sur Irianeth... Manyen se permettait de vouvoyer que les personnages importants. Mais pas n'importe qui. Et puis, elle ne se rappellerait surement pas de l'Immortel Ellan ― car même si elle n'était "surement pas grand-chose sur Irianeth", elle existait tout de même sur l'île, et tous ceux sur l'Île l'appelait ainsi : Ellan. En fait, il se faisait souvent appeler Ellan depuis sa trahison.

- Immortel?

Qu'était-ce? Elle l'observa encore, mais pas plus longuement. Il n'avait rien de particulier outre son regard bleu-pas-tout-bleu de ce qu'on nomme profond, son visage n'ayant aucunes émotions apparante en dehors de celle qui semblait dire aux autres qu'il n'en avait rien à faire de leur existance.. Il y avait également cette chevelure grisatre qui jurait avec son apparente jeunesse, tout comme elle d'ailleurs. Quoi que ses cheveux à elle prenait parfois l'allure d'être bruns, ce qui était dû à un jeu de lumière. Donc être "immortel" n'avait rien à voir avec l'apparence, car Rhémeïa savait qu'elle n'était pas "ça". Bien qu'elle n'identifit pas cela en tant que "race", car personne n'a jamais pris la peine de lui expliquer cette différence, elle sait que certains sont différents en plusieurs manières. Comme les "hommes-insectes", qui la répugnent tout en la fascinant. Ces êtres dotés d'une intelligence, bien que limitée, qui ressemblent fortement à ces bestioles qu'elle observe de temps à autres, mais qui sont plus gros qu'elle, certains plus gros que l'homme même si elle le considère grand. Il y avait également les êtres tel que son père, lesquels dégageaient quelque chose de particulier.. L'on aurait dit le charisme qu'elle aurait fait la grimace. Il s'agissait de plus que ça, mais elle ne saurait dire quoi. L'hybride avait également remarqué certaines oreilles pointues et des visages devant lesquels elle était parfois restée à contempler, ceux-ci appartenaient à les quelques êtres, très peu nombreux, qu'elle avait vu. Ils étaient très gracieux et elle s'était demandé une ou deux fois comment des gens si beaux avaient pu se ramasser là où ils étaient. Il y avait également les "normaux", ceux qui n'avaient rien de particulier mais dont la simplicité de leur nature avait réveillé sa curiosité si bien enfouie. Ceux-ci, elle ne les avaient vu que lorsqu'elle vivait avec sa mère, laquelle en faisait parti, avec une ou deux exceptions qui pourtant n'étaient pas comme eux. Alors qu'était-ce? Être immortel? Un titre? Un rang? Il y avait tant de choses qui étaient hors de sa portée. Si on venait lui parler du titre d'empereur, elle ne saurait pas de quoi on lui parle. Elle n'est pas sotte, loin de là, seulement de telles choses ne sont jamais parvenues à ses oreilles et personne ne lui parle de ces choses là. Sauf peut-être une fois lorsque l'homme parlait, mais elle ne prêtait pas attention à ce qu'il disait, alors... Ramenant son attention vers son interlocuteur, qui se disait être nommé Ellan, la fillette se dit qu'elle pouvait bien répondre à sa question en laissant les siennes de côtés.

- Moi c'est ..

Partie sur son élan, elle eut le temps de commencer à entamer le son "a" de la première syllabe de son prénom. Elle ferma la bouche, se demandant la raison de son propre silence soudain. L'incube le lui avait peut-être demandé, mais pourquoi s'en allait-elle obéir à l'instant? La futur écuyer, titre qu'elle porte à son insu, mit cela sur le compte de ce que dégageait l'homme et ne put s'empêcher de regarder dans la direction d'où elle était venue auparavant. Pourquoi ne pouvait-elle pas garder ce nom lui ayant été attribué à la naissance? Il ne lui avait jamais demandé son avis et il n'en avait certainement le droit.. Sauf que Aja ou Rhémeïa.. Tout cela la laissait plus ou moins indifférente et la raison pour laquelle elle avait accordé le premier au lézard n'était que pour contester l'autorité de l'Autre. Elle leva la tête vers.. Ellan, et se dit que ce n'était pas aujourd'hui que quelqu'un allait lui imposer sa loi sans négociations.

- Je suis Aja, tout court, tout simple. Sauf que y'a personne qui m'appelle comme ça.. Y'a personne qui m'appelle tout court à part l'Autre même si j'le vois pas tout le temps. C'est "hey" ou "fillette".. C'est quoi immortel?

Sa mère n'avait jamais compris. Elle, elle parlait comme le faisait ses parents, comme elle l'avait appris, comme elle l'avait enseigné à sa fille. Cependant, celle-ci.. ... Aja parlait comme elle l'entendait, était-ce volontaire? Peut-être que oui, peut-être que non.. Quoi que la deuxième est plus probable. L'influence venait possiblement du jargon partagé entre certains gens venant d'Enkidiev qui n'avaient appris.

Manyen écoutait à moitié ce que la fillette disait ― elle n'était personne d'important, alors pourquoi lui accorder son attention en entier ? Il est vrai que l'Immortel avait été élevé vers le respect et les bonnes manières ― il avait été élevé chez les Dieux. Mais sur Irianeth, alors qu'il était un renégat, il n'était pas nécessaire d'accorder la moindre importance à ce qu'il avait appris dans le passé. Et surtout pas envers cette fillette qu'il ne connaissait à peine. Avec l'Empereur, c'était toute autre chose. Il employait souvent des termes tel que "maître", "monseigneur", "votre majesté" ― ou tout autre adjectif qui impliquait la grandiose du statut de l'Empereur. Il vouvoyait aussi cet insecte dont le pouvoir pouvait s'étendre bien loin. Il traitait avec respect le sorcier de l'Empereur, bien qu'il n'y ait aucun sentiment envers ce dernier. De l'indifférence, la même qu'il éprouvait envers tous les autres habitants d'Irianeth. Des habitants, ça ne servait à rien. Manyen aimait le paysage, les montagnes sombres, la plage aux dragons, les alcôves simples. Mais pas les habitants. Il ne les aimait pas, mais ne les détestait pas non plus. Il ne faisait qu'éprouver de l'indifférence à leur égard. Il aurait toujours cette indifférence devant un massacre des habitants d'Irianeth. Il n'y avait simplement aucune affection pour ces habitants. En fait, Manyen n'avait aucune affection quoi que ce soit. Il n'éprouvait aucun amour, aucune vraie haine. C'est vrai qu'il faisait tête aux Dieux ― même sa mère ― mais il ne les détestait pas. Il en avait simplement assez de leur indifférence envers les habitants, de leur insensibilité envers le monde sur lequel il régnait. Par exemple, si le peuple de Zénor vénérait Ivana, Sauska et Vatacoalt, aucun d'eux n'éprouvaient de l'amour envers ce peuple qui étaient pourtant si loyal. Ça donnait à Manyen mal au cœur. Et puisque l'Immortel est hypocrite, il éprouvait le même genre d'émotion envers le peuple d'Irianeth que sa mère avait pour le peuple de Zénor. Tel mère, tel fils ... Par contre, il n'avait aucune vénération envers l'Immortel de la part des Taneths. Manyen était certain que s'ils l'adoraient comme les Zénorois adoraient Sauska, il ne serait pas aussi indifférent. Mais il l'était et les Tanieths aussi. En général...

Bref, Manyen n'écoutait pas vraiment la petite. Mais il l'avait entendu. Il savait qu'elle s'appelait Aja, mais que personne ne l'appelait ainsi ― il n'avait pas prêté attention à tout ce qui venait avec ce fait ― et qu'elle ne savait pas ce qu'était un Immortel. C'est alors que Manyen décida de prêter plus attention à cette fillette. Il lui donnait une ou deux années de plus qu'une demi-douzaine. Peut-être neuf ans tout au plus. Il remarqua ses cheveux décolorés et son regard curieux ― surement pour comprendre ce qu'il était. Elle n'avait pas l'air d'avoir tant d'éducation. De plus, elle semblait plus humaine ― du moins habitant d'Enkidiev ― que la plupart des Tanieths. Une fille d'esclave peut-être ? Ou même une esclave elle-même ? Mais si elle était esclave, elle ne serait pas là, sur la plage ... Elle travaillerait. Sans aucun but que de rester vivante... Mais elle semblait ignorer le présence de Dieux et de leur "serviteurs". Oui, parce que Manyen était serviteur des Dieux et avait accompli auparavant une mission sur Irianeth ― c'est ainsi qu'il avait acquit le pouvoir de parler aux Tanieths. Manyen n'était pas intéressé à apprendre à une petite fille ce qu'était un Immortel, mais il ne pouvait ignorer sa question. Alors il choisit de la répondre.

"Enchanté, Aja."

Manyen dut se forcer pour rester poli ― bien qu'il parla avec froideur. C'était ce qu'il avait appris là-haut, et il ne pouvait l'effacer. Pas facile d'effacer une vingtaine d'années ― environs ― d'apprentissage. C'était déjà incrusté dans sa mémoire, sa tête. Impossible de décider en se levant un jour d'effacer toute éducation. C'était comme demander à quelqu'un d'oublier comment lire, ou de parler. Ça ne se faisait pas du jour au lendemain. Donc, Manyen ne put s'empêcher d'être tout de même poli. Maintenant ne restait que de répondre à la question d'Aja ― un autre acte de politesse. Sa question n'était pas la plus facile : c'était quoi un Immortel. Manyen pouvait aller dans toute l'explication, ou il pouvait simplement dire "c'est quelqu'un qui ne meurt pas" ― ce qui n'aurait pas très bien décris ce qu'était un Immortel. Il décida d'y aller simple, sans manquer trop de détail ― il n'était pas très important de mentionner les Maîtres Magiciens, ou la hiérarchie céleste et cette histoire de demi-dieux et Immortels, ou encore du petit pendentif que portent tous les Immortels qui séjournent sur le monde des vivants. Manyen ne prit pas temps de choisir ses mots et expliqua sans réfléchir.

"Ce sont des serviteurs des Dieux qui servent d'intermédiaire entre les habitants d'Enkidiev et d'irianeth" ― non, en fait juste Enkidiev, mais Manyen ne voulait surtout pas exclure son île favorite, même si ce qu'il disait était faux ― "et les Dieux. Ils ont la vie éternelle."

C'était pas mal ça, à moins qu'Aja demande ce qu'étaient des Dieux, Enkidiev et Irianeth, ou encore de préciser. Et là, répondrait-il à ses questions ? Il ne le savait pas, il ne le saurait que lorsqu'elle les poserait. Ou peut-être elle ne les posera pas et se contentera de cette explication un peu brève. Manyen détourna la tête un moment et plongea son regard dans la mer. Il était difficile à croire que c'était la même mer que l'on voyait d'Enkidiev, de la plage de galets à Zénor. Elle semblait plus sombre et menait à un endroit bien plus ... grandiose, tandis que la mer que Manyen apercevait des rives de Zénor était plutôt séduisante et remplie de mystère, car le jeune Immortel ne savait pas où elle dirigerait. Les Dieux avaient refusé de lui répondre et son père était plutôt ignorant. Ce visage jeune rempli de mélancolie qui appartenait à son père apparut dans l'esprit du jeune Immortel. Il ne l'avait pas revu après la guerre. Et il était certain qu'à présent, le Roi était mort. Il manquait tellement à Manyen... S'il pouvait pleurer à ce moment, peut-être l'aurait-il fait...

De sa poche elle sortit l'animal qui commençait à s'agiter, ayant décidé de protester à la manière que la fillette le traitait en lui mordillant les doigts. L'hybride le posa sur son épaule, tout contre son cou, puis enfouit de nouveau sa main droite dans sa poche, triturant de son autre main une couture de sa robe. Son regard bleu toujours fixé sur celui qui se disait immortel, elle trouva qu'il ressemblait fortement à son tuteur en ce qui concernait la forme de visage. Pas anguleux, pas rond non plus.. Une machoire loin d'être carrée à laquelle s'ajoutait des traits fins.. Même la couleur de yeux était semblable. Alors, dans un raisonnement lui étant propre, Rhémeïa en conclut que cet être, Ellan, elle-même ainsi que l'Homme étaient semblables en trois points importants: la chevelure, le regard, leur pâleur. Et peut-être leurs traits également, mais la fillette avait eu sa conclusion donc s'était déjà désinteressée de l'aspect physique de son interlocuteur. Elle pensa alors à sa mère, qui, elle, était dotée d'une chevelure brune semblable à celle du chocolat lui tombant dans le milieu du dos.. Elle l'attachait presque tout le temps, laissant Rhémeïa lui faire une natte si l'envie le lui prenait. Car si il y avait bien une chose qui lui manquait de sa mère, c'était bien ses cheveux soyeux. Malgré le manque de temps de s'en occuper, ils n'étaient ni laids, ni cassés.. Juste beaux. Si seulement.. Si seulement elle pourrait la revoir encore.. Juste pour passer encore une fois ses doigts dans la chevelure agrémentée de douces boucles.. Son regard, qui distraitement était plongé dans celui d'Ellan, "revint".. Comme quoi la jeune fille s'extirpa de ses pensées au moment où il s'adressa de nouveau à elle. "Enchanté, Aja." Qu'il disait. Enchanté? Il n'y avait que peu de gens qui lui ait jamais dit ces mots, ou pas. En dehors des esclaves, elle n'avait fait la rencontre de qui que ce soit, et ceux-ci ne lui avaient jamais dit "enchanté" puisque pour la plupart ils la "connaissaient" depuis sa naissance. La futur écuyère ne s'en préoccupa pas plus que cela alors que l'homme enchaînait avec la réponse à sa question... L'information fit son chemin à son cerveau et comptait bien y rester, mais ce sur quoi elle porta son attention n'était qu'un mot dans tout ce qu'Ellan avait pu dire. Enkidiev. . .. Qu'était-ce? Ou plutôt, où était-ce, puisqu'il l'avait mis à côté d'Irianeth.. qu'elle savait être la terre sur laquelle elle résidait. Était-ce cet endroit qui comportait "Zénor"? Ce dont sa mère lui avait parlé de temps à autre. Lui disant qu'elle en était originaire.. Lui décrivant le paysage, dont Rhémeïa ne se rappelait que la partie concernant la mer et le sable ainsi que la verdure séparant cet endroit cerné de villages à la frontière de l'autre endroit nommé Cristal.. Si elle se souvenait bien..

- Enkidiev? Mei en parlait des fois.. Mais je me souviens plus trop bien de ce qu'elle disait. Son ton était posé, elle prenait des poses entre certaines phrases.. Contrairement à ce que l'on aurait pu penser d'elle, elle ne parlait pas vite, ce n'était pas dans ses habitudes de parler rapidement. C'est grand? C'est comment? T'es le seul comme ça ici à.. Irianeth? Y'en a d'autres comme toi sur Enkidiev? Et les Dieux ils sont où, hein? J'ai jamais entendu Mei parler de ça, des dieux. Elle marqua une pose, fronçant légèrement les sourcils, comme si un détail la contrariait. Mais quand elle parlait d'Enkidiev, elle parlait tout le temps de "Zénor" et de ses parents.. Et de son meilleur ami. Même si je l'écoutais pas vraiment, elle continuait de parler, mais il y avait d'autres comme elle qui l'écoutait même si moi non. T'en a une comme Mei, toi? Moi j'avais juste elle, mais l'Autre est venu me chercher et ça fait longtemps que je l'ai pas vue.

Pas que cela lui importait, outre que la chevelure de la femme, mais elle n'avait pu s'empêcher d'ajouter cette information à cette courte période de temps pendant laquelle elle s'était permise de parler. La jeune fille avait bien remarqué le regard de l'immortel qui avait tendance à se tendre vers la mer, supposant par ce même fait qu'il aimait bien la regarder, mais chacun faisait ce qu'il avait bien envie de faire et elle ne voyait pas ce qui pourrait paraitre insolite dans ce comportement donc elle ne s'en occupa pas plus qu'il ne le fallait, penchant légèrement la tête sur la droite en attendant une quelconque réponse de la part d'Ellan.

Manyen n'avait pas vraiment écouté les propos de Aja. Il écoutait ses questions de manière distraite avec cette pensée que les jeunes étaient bien énervants avec toutes leurs questions. Ils parlaient trop, posaient trop de questions. Manyen n'avait jamais été un garçon bien bavard, préférant la solitude. C'est pourquoi il ne s'intéressait souvent pas aux habitants d'une contrée, mais plutôt au paysage. Il pouvait s'y perdre dans la mer, ou dans les montagnes juste avec ses yeux ... ces yeux qui voyaient ce que les autres ne pouvaient voir dans ces paysages si lointains, si jolies... Il y avait toujours une similarité avec les paysages que Manyen aimait. Ce n'était pas pour rien qu'il avait été si facilement séduit par la noirceur. Il aimait les paysages sombres et mystérieux, qui dégageaient une aura naturelle, qui n'étaient pas touchés par quelconque créature. Les montagnes d'Irianeth ne paraissaient pas trop usés, la mer restait intacte... C'est pourquoi les plateaux, ou les forêts, Manyen ne raffolaient pas. Parce que c'était si évident le passage d'êtres qui avaient modifié ce paysage. La trace des humains étaient toujours présentes ― sur les arbres ou dans les sentiers. Mais la mer, elle, était en mouvement constants, dans un état inchangeable d'apparence ― Manyen n'était jamais allé sous l'eau. Les montagnes étaient restés principalement les mêmes, avec leur beauté sombre...

Un mot attira alors l'attention de l'Immortel et il se concentra à nouveau sur les paroles de la petite. "... elle parlait tout le temps de "Zénor" et de ses parents..." Zénor... Manyen fut soudainement plongé dans des souvenirs si lointains ... des centaines d'années auparavant. Des images défilèrent à ses yeux: Sauska, sa mère; le Roi de Zénor et son regard triste; la plage aux galets; les câlins d'adieux que lui donnait son père; la mer, bleue comme le ciel, brillant comme un mystère; une barque au loin; un homme inconnu; un voyage en mer; une description d'Irianeth... Tout cela semblait lointain, et maintenant que Manyen pouvait analyser son passé, il voyait comment il avait été leurré par l'homme, comment ce dernier l'avait séduit, comment il avait changé sa vie... Peut-être Manyen aurait été intéressé par Irianeth, mais pas nécessairement la noirceur qui y régnait. Maintenant, c'était tout différent. Il ne verrait plus jamais sa mère. Il ne verrait plus jamais son père. Il ne pourrait plus jamais passer son temps à contempler cette mer si paisible de la même façon, sachant ce qui se trouve de l'autre côté : Irianeth.

"Je ne sais pas... Je connais Zénor ― c'est un des royaumes sur le continent d'Enkidiev..."

Sans s'en rendre compte, il avait répondu à une question d'Aja. Sa voix avait été douce tel le murmure du vent. Elle avait perdu toute sa froideur. Parce que Manyen n'était plus "Ellan". Il était "Manyen" à nouveau, le jeune garçon qu'il était lorsqu'il avait rencontré son père, lorsqu'il avait été séduit par la mer, lorsqu'il suivait toutes les règles des Dieux, lorsqu'ils eut sa formation d'Immortel, lorsqu'il vivait auprès de Sauska, sa mère... Avant que les Dieux eux-mêmes lui demandent de changer de nom pour cacher son identité ― il serait connu sous "Ellan" sur Irianeth. Manyen utilisa se nom inconsciemment plus tard sur Enkidiev. Mainenant, il pouvait utiliser "Manyen" sans être repéré, sauf par les Dieux. Mais les Dieux se foutaient de ce qu'il se produisait sur Enkidiev...

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